Témoignage d’agriculteurs : s’adapter au dérèglement climatique en système de polyculture-élevage

Couverture et réduction du travail du sol, introduction de nouvelles espèces fourragères sur la ferme, diversification des ateliers de production, autonomie fourragère et autonomie azotée, un ensemble de thématiques abordées avec les agriculteurs de la coopérative Oxyane et les agriculteurs bio de conservation des sols du collectif ABC-Sud le 27 septembre dernier sur la ferme des Charentais (Pierrerue, 04300) 


GAEC des Charentais (Pierrerue, 04300)

Présentation de la ferme :

Florian et Eric Jean du GAEC des Charentais sont installés en bio en système de polyculture-élevage sur une cinquantaine d’hectares dans le département des Alpes de Haute-Provence (Pierrerue, 04300). La ferme est en agriculture biologique depuis 2000. Elle est devenue un GAEC en 2018 suite à l’arrivée de Florian sur la ferme.

Sixième génération à s’installer sur la ferme familiale, Florian et Eric détiennent aujourd’hui un troupeau de 300 brebis viande de race pré-alpes. Ils produisent l’aliment du bétail et le fourrage destinés à l’autoconsommation des bêtes (luzerne, avoine , orge, vesce, sorgho) et du tournesol qu’ils pressent à la ferme. La culture de tournesol est réservée aux terres facilement irriguables, plates et nivelées pour faciliter le binage. Florian et Eric ont accès à l’irrigation mais tentent d’en minimiser l’usage en raison du coût de l’eau et des restrictions de plus en plus fréquentes en période estivale. Les sols sont limono-argilo-sableux et détiennent un taux de matière organique de 2,5% avec un volant d’autofertilité intéressant grâce à l’élevage.

L’ensemble des productions sont vendues en circuit court (magasins de producteurs, vente à la ferme, restauration). Tous les déchets issus du triage et les tourteaux sont injectés dans l’alimentation du bétail. Florian et Eric ont pour objectif de ne plus acheter d’engrais et recherchent l’autonomie en éléments fertilisants sur la ferme : les fumiers sont épandus sur les terres de l’exploitation à hauteur de 30 à 50t/ha à l’échelle de la rotation. Les apports se font sur prairies en sortis d’hiver et systématiquement avant sorgho.

Les précipitations sur l’année sont en moyenne de 700mm (moy. 1991-2020). Elles peuvent être très abondantes (115mm/24h mesuré le 21/11/2016 sur la commune de Dauphin située à proximitée) voir totalement absentes pendant plusieurs semaines en sortis d’hiver (février/mars) puis pendant l’été. Les risques de gels restent tardifs en saison jusqu’à fin mars. Plusieurs changements ont été opérés sur la ferme ces dernières années pour s’adapter au dérèglement climatique.

Le couverture des sols avant tout :

Initialement, les terres étaient labourées à l’automne et laissées à nue pendant l’hiver en vu d’implanter une luzerne au printemps. Afin d’éviter les phénomènes d’érosion des sols et de lixiviation (pertes de nitrates dans les eaux d’infiltration), les couverts végétaux hivernaux ont été introduits sur la ferme. Ils sont composés d’avoine noire en pur (180kg/ha) ou en mélange avec des vesces (100kg/ha d’avoine noire / 50kg/ha de vesce commune et de ers). Les couverts végétaux s’insèrent de plusieurs manières dans la rotation :

  • le semis d’automne pour couvrir les sols avant l’implantation d’une prairie temporaire de luzerne ou d’une culture de printemps (tournesol). L’absence de précipitations peut amener les Jean a faire l’impasse sur la culture de tournesol et à conduire le couvert jusqu’en grains.
  • le semis au combiné dans des luzernes de deux à trois ans, juste après la dernière coupe de l’année et le passage d’un vibroculteur.

Les couverts végétaux apportent plusieurs services sur la ferme. L’introduction de légumineuses (vesce commune et/ou ers) dans le mélange permet d’injecter de l’azote dans le système et d’apporter de la protéine dans la ration. L’ers est une vesce naine de Provence couvrante et facilement patûrable qui reste en sous-étage par rapport à l’avoine. Le couvert annuel permet une restitution de biomasse supplémentaire grâce à son système racinaire dense, stimule l’activité biologique au niveau de la rhizosphère et limite le salissement des luzernières grâce à un bon recouvrement et à un potentiel effet allélopathique sur les adventices dicotylédones.


Avoine noire/vesce/ers semé au combiné le 15/09/2023 à 180kg/ha (1-2% de vesce/ers dans le lot de semences, résidus de triage). L’avoine sera pâturée cet hiver puis détruite au biomulch avant le semis d’un sainfoin.

Le couvert participe à l’amélioration de l’autonomie fourragère de l’exploitation et à la sécurisation du système fourrager dans un contexte de forte pression sanitaire liée au phytonome de la luzerne. Ce petit coléoptère phytophage de la luzerne endommage la plante au niveau des bourgeons terminaux et des feuilles. Il impacte considérablement la production de fourrages et notamment la première coupe le plus productive. Les dégâts sont accentués par la sécheresse qui fragilise la luzerne. Le semis d’avoine à l’automne implique une légère perturbation du couvert où ont été pondus les œufs et assure une première coupe en cas de dégâts sur luzerne.

Florian et Eric se questionnent aujourd’hui sur l’implantation d’une luzerne sous couvert d’avoine, une pratique qui semble avoir déjà fait ses preuves en semis tardif de fin d’été ou de début automne dans les territoires d’élevage : le couvert plurispécifique est semé au semoir à céréales puis récolté entre mi-avril et mi-juin. La prairie semée à la suite du couvert prend le relais à la récolte de ce dernier. En région Sud-PACA, les implantations au printemps restent majoritaires car plus sécurisantes pour plusieurs raisons :

  • la mortalité des plantules par la sécheresse en fin d’été est récurrente : le risque est présent jusqu’à début octobre au sud de la région (pourtour méditerranéen), jusqu’à fin septembre dans les terres et jusqu’à mi-septembre plus au nord.


Date à partir de laquelle un flétrissement des semis ne survient qu’une année sur cinq en sol à faible réserve utile de surface (0-5cm), selon la région. Deux périodes sont considérées : la fin du siècle dernier (moyennes sur 1980-2002) et les cinq dernières années (moyennes sur 2018-2022) ©Arvalis

  • le risque de gel avant un développement suffisant des plantules (4-5 feuilles sur graminées, stade trifolié sur légumineuses) est également bien présent, même si ce risque tant à disparaître avec le réchauffement climatique. Au delà du gel, les légumineuses sont plus lentes à s’installer car sensible à la réduction de la photopériode.

L’arrêt du labour :

Dans un objectif de réduction du travail du sol, Florian et Eric ne labourent plus leurs terres depuis 2019. Ils ont investis dans la fraise rotative Kuhn EL 162-300 BIOMULCH pour un travail du sol superficiel à 4-5cm de profondeur. L’outil vient sectionner la luzerne au niveau du collet racinaire et mélanger la terre et les résidus végétaux pour faciliter la dégradation du couvert. Le biomulch est un outil animé à lames courbées apprécié par les Jean car il offre une large fenètre d’interventions. Il est utilisé pour détruire les couverts et les prairies. Selon le constructeur, la vitesse d’avancement maximale est de 10km/h mais dans les faits, Florian et Eric interviennent à 3-4 km/h pour plus d’efficacité. La faible vitesse d’avancement implique un temps de travail plus élevé et une consommation de carburant plus importante qu’auparavant.
L’outil peut facilement lisser le sol lorsqu’il n’est pas utilisé dans les bonnes conditions malgré des lames coudées à 95° confectionnées pour éviter les phénomènes de lissage. Il nécessite aussi un sol nivelé pour une bonne efficacité.

L’outil permet un travail du sol sur 3m de large de 3 à 7cm de profondeur.

Intervention du 27/09/2023 sur chaumes. Les conditions un peu trop humides favorisent le phénomène de lissage sur la zone travaillée.

Introduction de nouvelles espèces fourragères sur la ferme :

Pour s’adapter au dérèglement climatique, Eric et Florian ont introduit le sorgho fourrager sur la ferme. Le sorgho est semé dans plusieurs parcelles de début mai à début juin à 2 semaines d’intervalles (01/05, 15/05, 01/06). L’étalement des semis permet le pâturage tournant dynamique des bêtes dès le mois de juin jusqu’à mi-octobre. L’introduction du sorgho dans la sole a permis de sécuriser la ressource fourragère à des périodes où la production fourragère ralentie et la ressource tend à manquer.

En 2023, Eric et Florian ont conduits en partenariat avec Agribio04 des essais sur le teff, une graminée originaire des hauts plateaux d’Ethiopie et d’Erythrée qui serait d’un grand intérêt fourrager en période estivale. Les résultats révèlent une production de biomasse cumulée sur l’année (11/05/2023 – 24/08/2023) identique à celle du sorgho (12,7 t MS/ha). La plante reste cependant sensible au manque d’eau. Les importantes précipitations avant la 1ère coupe (230mm) ont été très bien valorisées par le teff (10,2 t MS/ha vs. 8,8 t MS/ha pour le sorgho) alors que les conditions plus restrictives du mois d’août (1,5mm d’eau entre la 1ère et la 2ème coupe) n’ont pas permis de maintenir ses performances agronomiques par rapport au sorgho (2,5t MS/ha vs. 4 t MS/ha pour le sorgho). La plante est peut-être également plus sensible aux fauches répétées.
La première coupe n’est pas pâturable sur pied car le système racinaire du teff est à ce stade trop superficiel, laissant pensé que la plante est plus facilement valorisable en fourrage qu’en pâturage. La gestion du salissement est satisfaisante. Le fourrage en sec semble moins appétent pour les bêtes que la luzerne (odeurs tanniques). En raison de la taille des graines, des questions se posent néanmoins sur la récolte grains du teff (PMG = 0,2g).


Teff semé le 11/05/2023 à 9,5kg/ha derrière un couvert de vesce/avoine. Photo prise le 27/09/2023 après 2 coupes.

Pour poursuivre les échanges, vous pouvez contacter :

-  Florian Jean au 06 17 48 64 78 - jean.florian00@gmail.com
-  Clémence Rivoire au 07 44 50 30 67 – grandes-cultures@bio-provence.org

Rédaction :
Clémence Rivoire, conseillère régionale en grandes cultures biologiques pour Agribio 04 et le réseau Bio de PACA.
Date de publication : 29/11/2023